Ce 1er avril à l’aube, des activistes d’Action non violente COP21 ont mené une nouvelle « réquisition » de portrait du président de la République pour dénoncer l’inaction gouvernementale dans la lutte contre le changement climatique. Au premier rang des militants se tenait Emmanuel Macron en personne.
- Paris, 8e arrondissement, reportage
Les employés de la mairie sortent de l’édifice en rang d’oignon, sur leur 31, et se placent en formant une haie d’honneur sur le perron. La porte arrière de la Peugeot s’ouvre dans un crépitement de flashs. Le véhicule délivre un garde du corps à la carrure massive, lequel dévoile, d’un pas de côté… le président de la République, suivi de son Premier ministre. Emmanuel Macron et Édouard Philippe posent le pied sur le trottoir en remuant leur main droite en guise de salut. L’édile de l’arrondissement, Jeanne d’Hauteserre, s’empresse de les accueillir.
La mine inquiète, Emmanuel Macron l’interroge : « Nos amis ne sont pas encore arrivés ? » La seconde suivante, dans un concert de sonnettes, de pédales et de chaînes, une vingtaine de cyclistes font irruption. « Les voilà ! » s’illumine le Président. Les militants écologistes, Pauline Boyer et Jon Palais à l’avant du peloton, posent leurs tandems et tendent au président un T-shirt jaune et un gilet fluo à l’effigie du mouvement Action non violente COP21. Pivotant vers les photographes, Emmanuel Macron s’en saisit solennellement, défait sa veste de costume et s’affuble de son nouvel habit. Guidés par Jeanne d’Hauteserre et suivis par les militants écologistes, le président, le Premier ministre et une poignée de journalistes — dont Reporterre — s’engouffrent dans les couloirs de la mairie, en direction de la salle des mariages.
« À partir de cet instant, je vais mettre toutes mes forces et mon énergie à relever le défi environnemental »
Devant son portrait, face à face avec lui-même, Emmanuel Macron marque un temps d’arrêt et s’observe, silencieux. Encouragé par la moue approbatrice d’Édouard Philippe, il commence soudain à décrocher le cadre. Au premier essai, le portrait ne vient pas. « Vous n’avez pas encore pris le pli, monsieur le président », dit Pauline Boyer, avant de partager ses astuces pour retirer convenablement un portrait présidentiel : les mains fermes, le regard déterminé, le geste souple. Le second essai s’avère fructueux. « Ce mur est désormais vide, vide comme ma politique en matière de lutte contre le changement climatique », constate le président. [1]La délégation retourne sur ses pas et prend la pose sur le perron de l’hôtel Cail. Emmanuel Macron, l’air soulagé, s’installe derrière un pupitre, ajuste le micro, et déclare :
Françaises, Français, nous voilà ensemble au rendez-vous de notre pays, de notre planète et de notre avenir. Depuis deux ans que vous m’avez confié la tâche immense de présider à la destinée de la France, je n’ai eu de cesse de vouloir redresser les comptes publics, de relancer la croissance, de vitaliser notre économie… Mais, je me suis trompé. Car tout cela n’est que poudre de perlimpinpin au regard de l’urgence climatique. Certes, nous avons, avec le Premier ministre et l’ensemble du gouvernement, cherché à impulser la fin de l’exploitation des hydrocarbures et des voitures thermiques, nous avons stoppé le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes et œuvré au niveau européen pour l’adoption de limites ambitieuses aux émissions des voitures.
Cependant, je vous le dis avec toute la gravité qui s’impose, nous n’avons pas été à la hauteur de la crise écologique. Nous n’avons pas mis en place les mesures qui s’imposaient afin que l’Accord de Paris ne reste pas lettre morte. Je le regrette profondément. Le temps des atermoiements est désormais révolu. Fini les carabistouilles ! Pour marquer le changement de cap radical que nous allons effectuer dès les prochains jours, j’ai donc décidé de décrocher mon portrait. Chers concitoyens, aujourd’hui, je vous en fais la promesse solennelle : je ne serai plus le même, rien ne sera plus comme avant. À partir de cet instant, je vais mettre toutes mes forces et mon énergie à relever le défi environnemental, je vais consacrer chaque minute du temps qu’il me reste à accomplir à la lutte contre le changement climatique. Avec calme, et en même temps avec détermination. Vive la République, vive la planète, vive la France ! »
Contacté par Reporterre, Pascal Canfin, candidat La République en marche pour les élections européennes, assure que la campagne électorale en cours n’est pour rien dans ce revirement : « Cela fait plusieurs semaines qu’on le sent tourmenté, depuis son retour de la station de ski de La Mongie [dans les Hautes-Pyrénées], mi-mars, confie-t-il. Leur chien, Némo, a failli être tué par une avalanche. Ça a été le déclic, Emmanuel s’est soudain rendu compte des conséquences concrètes du changement climatique dans la vie de chacun. » L’information était alors passée sous les radars médiatiques, le couple présidentiel préférant taire l’incident alors que le Fouquet’s était incendié sur les Champs-Élysées.
Le « Plan Jupiterre » lancé dès demain
Une prise de conscience sincère donc, mais peut-on réellement espérer une bifurcation de la politique gouvernementale ? « Le président a accepté l’idée d’un New Deal écologique, explique Txetx Etcheverry, militant climatique, qui a participé à plusieurs réunions préparatoires à l’Élysée. Il s’agit de réagir comme si nous nous trouvions en état de guerre ou de catastrophe majeure. » Le gouvernement devrait lancer le bien nommé « Plan Jupiterre » dès demain mardi, doté de crédits exceptionnels pour accélérer la rénovation énergétique des bâtiments, dans l’idée d’instaurer d’ici cinq ans un couvre-feu thermique entre 22 h et 6 h du matin.Mesure hautement symbolique, Emmanuel Macron entend remplacer la moitié des véhicules officiels par des vélos made in France. Dans le communiqué diffusé à l’issue de l’action de décrochage de portrait, il s’engage également à limiter le nombre de ses déplacements en avion à quatre par an, le reste des réunions diplomatiques pouvant être assurées par visioconférence, à l’aide d’hologrammes. Les jardins de l’Élysée seront prochainement convertis à la permaculture, de même que l’ensemble des parcs publics.
Le président a aussi décidé de remanier en profondeur le gouvernement. Le Premier ministre souhaite en effet reprendre la tête de la mairie du Havre, après que son remplaçant, Luc Lemonnier, a démissionné, accusé d’avoir envoyé des photos pornographiques à plusieurs femmes. « Je vais me dédier à ma ville, menacée par la montée des eaux », laisse-t-il entendre, visiblement soulagé de ce « retour à la mer ». L’exécutif sera donc dirigé par un « comité de salut public », fonctionnant selon les principes de l’holacratie. Six membres constitueront ce groupe, trois hommes et trois femmes. Les noms de l’activiste Jon Palais, de la climatologue Valérie Masson-Delmotte, du chercheur Pablo Servigne, ou encore de l’actrice Marion Cotillard circulent. Joint par Reporterre, François de Rugy n’a pas souhaité réagir à ce retournement présidentiel. Des sources ministérielles affirment que le ministre actuel de la Transition écologique n’était pas au courant du « revirement de l’hôtel Cail ».
1er avril 2019 /
Alexandre-Reza Kokabi et Lorène Lavocat (Reporterre)
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