Le monde arabe se décompose. Ses saints patrons se terrent comme des rats sous les décombres des cités antiques. L’héritage universel de Palmyre, les jardins de Babylone, les pyramides d’Egypte, la magie de Sanaa, la féerie quiète de Carthage, toutes ces beautés meurtries sont jetées en pâture à leurs propres démons. Devant la débandade grandissante, les passeurs s’en mettent plein les poches, les poissons se régalent de cadavres flottants et lorsque, par on ne sait quel miracle, les rescapés atteignent les rivages du salut, on dresse au nez des enfants des murailles barbelées. Que se passe-t-il ? On a beau interroger les signes avant-coureurs de la catastrophe humaine, on revient toujours à la question qui tue : à qui la faute ? Aux régimes dictatoriaux ? Aux artisans du nouvel ordre mondial ? Aux seigneurs de la Finance pour qui la paix est un chômage technique ? Et la religion, dans tout ça ? Une main devant, une main derrière, Dieu s’avoue dépassé, et le Diable jure sur la vie de ses suppôts qu’il n’y est pour rien.
Le monde arabe se décompose, mais la gangrène ne reconnaît pas les frontières.
Que dire des lendemains lorsque les nuits s’engrossent de drames pour que chaque matin accouche d’une nouvelle tragédie ? Que dire du vivre ensemble lorsqu’en Amérique, les masses populaires s’enthousiasment pour une énormité foraine qui a su faire de l’inélégance un art et de la diatribe une prophétie ? Que dire de l’Humanité, lorsque les pollueurs impénitents s’érigent en sauveurs de la planète, lorsque le libre arbitre se dilue dans le formatage des esprits, lorsque la Pensée tire sa révérence devant le show des carnavaliers ? On dit, silence, ça tourne. Chacun excelle dans son cinéma, et advienne que pourra. La guerre est devenue d’une banalité. Plus personne ne s’en offusque. Devant l’inexorable mise en bière des valeurs et des vertus, les prières n’ont plus cours puisque la messe a été dite. Les rares consciences, qui subsistent encore, ne savent où donner de la tête ; quant aux pyromanes, pris au dépourvu par l’ampleur du sinistre, ils s’interrogent sans conviction sur l’inévitable retour de flamme.
Le monde amorce une dérive sans précédent, et nous sommes là, à chercher un coupable pour nous voiler la face. Or, nous sommes tous coupables du malheur qui nous frappe, coupables d’avoir confié notre destin à des décideurs indécis, coupables d’avoir renoncé à nos responsabilités citoyennes, coupables d’avoir ramené nos voix à un vulgaire bulletin de vote, persuadés ainsi d’avoir tout dit. Pourtant, il est des choses qu’on ne dira jamais assez : «Ça suffit !»

Lu sur Libération le 22 mars.