Interview d’Antoine Rousseau, président de la SAS coopérative du Watt Citoyen et chercheur à l’INRIA 
  • Bonjour Antoine, pour commencer peux-tu nous expliquer la différence entre les terres rares et les métaux rares ? 
« Les terres rares c’est fastoche, c’est un groupe de 17 métaux bien identifiés*.  En revanche, il n’y a pas de classification universelle pour parler des métaux rares. En fait, tout dépend de la façon d’évaluer la rareté, suivant que l’on considère seulement la présence du métal considéré dans la croute terrestre, ou bien si l’on intègre la demande, les usages (y compris stratégiques et militaires) ou encore notre capacité à les recycler. Par exemple les terres rares ont été nommées ainsi car leur extraction est complexe (et polluante) mais ce sont des éléments relativement abondants de manière diffuse dans la croûte terrestre. Le cuivre est abondant, cependant il est de plus en plus recyclé car la demande croissante fait qu’il pourrait devenir « rare ».
Quoi qu’il en soit, quand on parle de métaux rares, cela inclut en particulier les terres rares (oui, je sais c’est contre-intuitif mais ce n’est pas de ma faute ;-) ). Au sein des métaux rares, on retrouve aussi des métaux comme le lithium, le cobalt ou l’indium. «
  • Pourquoi les métaux rares sont-ils si importants ?
Les métaux rares sont utilisés dans de nombreux domaines : fabrication de télévisions et de smartphones, nouvelles technologies de l’énergie et de la communication, batteries de voitures électriques, etc. Ils sont utiles aussi bien au moment de la production (dans l’usine) que de l’utilisation du produit fini (dans votre poche, sur votre toiture ou dans votre garage). Les métaux rares ne permettent pas à eux seuls de produire les nouvelles technologies évoquées : ils en améliorent l’efficacité, un peu comme des catalyseurs dans une réaction chimique ou des vitamines dans notre alimentation.
  •  Quels sont les enjeux aujourd’hui autour des métaux rares ?
Vu notre consommation, les enjeux sont énormes. Géopolitiques d’abord, car les ressources sont principalement en Chine, même si d’importants gisements semblent avoir été découverts récemment au large du Japon [1]. Économiques ensuite, la problématique des métaux rares faisant echo à la problématique générale de la disponibilité des matières premières (effondrement, collapsologie, tout ça). Sanitaires et sociaux enfin, compte tenu des conditions dramatiques dans lesquelles les métaux rares sont extraits à l’autre bout du monde, loin de nos yeux et de nos « valeurs ». Le livre de Guillaume Pitron [2] est particulièrement poignant dans la description qu’il fait de cette véritable délocalisation de nos pollutions (voir aussi l’article d’Eric Vidalenc (Ademe) [3] sur le blog d’Alternatives Economiques)
  • Quel est le rapport avec la transition énergétique ?
Comme je le disais plus haut, les nouvelles technologies de l’énergie ont un besoin croissant en métaux rares. En particulier, du côté des ENR l’éolien offshore ou encore les panneaux photovoltaïques dits « à couches minces » sont les plus gros consommateurs. Pourtant, si cette consommation est croissante, elle reste très inférieure à celle issue des nouvelles technologies de l’information et de la communication, smartphones et tablettes en tête !
  •  En fait, il ne faut pas tout mettre dans le même sac, c’est ça ?
Exactement ! On ne peut pas tout mélanger comme Guillaume Pitron l’a fait – ou laissé faire – dans les nombreuses sorties médiatiques [4] qui ont suivi celle de son livre. En effet, pour ne parler que des panneaux photovoltaïques, les technos à couches minces ne représentent que 5% du marché (continuons à ne pas les choisir pour nos futurs projets !) alors que les plus modernes (silicium mono ou polycristallin) sont vierges en métaux rares ! Pour celles et ceux qui sont intéressés par les détails, je recommande chaleureusement les travaux de Florian Fizaine [5] sur ce sujet : on y lit en particulier que, rapporté au Wh produit, le nucléaire consomme plus de métaux rares (et même de cuivre !) que les panneaux photovoltaïques les plus récents 
  • Bon alors finalement, on fait comment ?
D’abord, il faut reconnaître que c’est un sujet super complexe et qui demande du temps. Il est difficile de se faire une idée sur ces sujets en quelques minutes. Il ne faut ni jeter la transition énergétique avec le premier livre polémique venu (on imagine à quel point certains lobbies s’engouffrent dans de telles brèches), ni foncer tête baissée sans réfléchir aux conséquences environnementales – potentiellement dramatiques – d’un basculement technologique non maîtrisé… Il n’y a pas de solution miracle, mais je dirais pour terminer qu’il faut s’engager principalement sur 3 axes : 
i) le recyclage des nouveaux déchets (comme des anciens) 
ii) la baisse globale de notre consommation (en métaux rares mais plus globalement en énergie) 
et iii) continuer à financer la recherche : la thèse de Florian Fizaine [6]  est la preuve de notre intérêt à soutenir ce type de travaux.


* Le scandium, l’yttrium et les quinze lanthanides (numéros atomiques de 57 à 71).
[2] G. Pitron, La guerre des métaux rares, Éditions Les Liens qui Libèrent, 2018
[3] Le Syndrome Pitron, ou la délocalisation de nos pollutions, Le Blog d’Eric Vidalenc sur Alternatives Economiques, 29/04/2018
[4] Les technologies vertes seront-elles « durables » ?, Un jour dans le Monde, France Inter, 15/02/2018