Le sommet du pétrole offshore MCEDD (1),
organisé dans le fief de Total à Pau, a été bloqué et perturbé par des
militants climat pendant trois journées d’affilée, du 5 au 7 avril 2016.
Des vagues d’actions non-violentes et déterminées ont permis de créer
des conditions d’anormalité autour de cette rencontre entre les plus
grandes compagnies pétrolières comme Total, Shell, BP ou ExxonMobil et
des exploitants offshore, montrant ainsi qu’après la COP21, certaines
choses ne peuvent plus se dérouler comme avant, et ouvrant la voie à une
nouvelle séquence de mobilisation pour le climat.
Dès le premier jour du sommet MCEDD,
plusieurs groupes d’activistes sont parvenus à franchir le dispositif de
sécurité, ouvrant les accès à 300 militants qui ont occupé l’esplanade
du bâtiment pendant toute la journée
Bloquer le sommet du pétrole offshore pour enclencher « l’après-COP21 »
C’est le mouvement Action Non-Violente COP21, créé quelques mois avant la COP21 (2), qui a lancé l’appel à bloquer le sommet MCEDD. L’appel n’a été lancé que le 26 février 2016 (3)
et pourtant, en seulement six semaines, cette campagne de mobilisation a
rassemblé plus de 500 activistes climatiques, en pleine semaine, dans
le « Camp Sirène », un camp climat installé au Village Emmaüs Lescar-Pau
pendant 7 jours d’affilée, et a permis de mener des actions directes
non-violentes massives et déterminées pendant les trois journées du
sommet.
Cette mobilisation climat s’inscrit dans
la suite logique de la mobilisation COP21. L’objectif était non
seulement de bloquer ce sommet, mais aussi d’enclencher une nouvelle
phase d’action « post-COP21 » autour de la logique suivante : faire
appliquer les engagements – pris par les États du monde entier dans
l’Accord de Paris – de contenir le réchauffement climatique en deça de
+1,5°C ou +2°C maximum.
Action non-violente et déterminée
Les actions pour bloquer et perturber le
MCEDD ont toutes été menées à visage découvert, de manière à la fois
strictement non-violente et très déterminée. Certaines actions ont même
été particulièrement offensives, notamment les actions de franchissement
pour pénétrer dans le site du Palais Beaumont où se tenait le MCEDD, et
qui était protégé en permanence par un dispositif policier et des
clôtures de sécurité de 2 mètres de haut. Des groupes de dizaines
d’activistes, serrés les uns contre les autres en blocs compacts,
progressant au pas de course vers le Palais Beaumont et renversant les
barrières de sécurité avant de traverser les lignes des forces de
l’ordre pour atteindre les accès du centre de congrès ont été
particulièrement spectaculaires (4).
Franchissement des barrières et des
lignes des forces de l’ordre au premier jour de l’action. Les activistes
de la première ligne étaient équipés de boucliers en mousse et de
rembourrages en paille. D’autres activistes avançaient en se versant de
la peinture sur eux-mêmes afin de déstabiliser les forces de l’ordre.
Pour autant, les militants n’ont jamais
usé de violence contre les policiers ou les congressistes, et n’ont à
aucun moment répondu par la violence physique ou verbale aux coups de
matraques et aux gazages qu’ils ont subis, et s’efforçaient même
constamment d’établir le dialogue avec les policiers et les gendarmes
pendant les trois journées d’actions. Les activistes répondaient aux
violences policières en scandant « La police doucement ! On fait ça pour vos enfants ! » et en chantant le refrain d’HK « Sans haine, sans arme, sans violence ».
D’autres actions d’interposition physique
ont eu lieu comme le blocage des portails d’un hôtel 5 étoiles où
étaient hébergés les plus hauts responsables des compagnies
participantes au MCEDD, afin de les empêcher de se rendre au sommet, ou
encore le blocage d’un camion logistique de l’organisation du sommet.
Deux activistes immobilisent un camion logistique à l’entrée du MCEDD en bloquant leurs bras sous le véhicule
Des activistes ont également déjoué les
trois niveaux de sécurité du Palais Beaumont et sont parvenus à
s’infiltrer à l’intérieur même du bâtiment, pour s’enchaîner sur la
scène juste avant les discours d’ouverture dès le premier jour. Les
activistes se sont alors exprimés pendant dix minutes devant tous les
congressistes dès le début du sommet, changeant du tout au tout le
contenu du programme prévu par les pétroliers ! Plusieurs congressistes
nous diront par la suite avoir particulièrement apprécié cette prise de
parole, et être sensibles tant au message exprimé qu’au choix de la
non-violence pour les actions menées tout au long du sommet.
Les rapports de force et les rapports de conscience
Plusieurs actions ont permis de bloquer
effectivement le sommet de manière temporaire, bloquant des dizaines de
congressistes à l’extérieur, et en dissuadant d’autres qui faisaient
demi-tour. Si le sommet a malgré tout pu se maintenir tant bien que mal
pendant les trois journées, il s’est déroulé dans des conditions
complètement anormales en raison des dispositifs policiers permanents,
des perturbations incessantes, de la répression policière sur les
militants, et du projecteur médiatique qui s’est pointé sur le Palais
Beaumont pendant toute la durée du sommet.
Si les actions non-violentes offensives
ont provoqué des réactions de répression policière et de forts moments
de tension, l’attitude non-violente et la recherche permanente du
dialogue de la part des militants, tant avec les forces de l’ordre
qu’avec les congressistes, ont permis de nombreux échanges, y compris
pendant les moments les plus surréalistes comme les blocages et les
délogeages.
Nous croyons en la force de persuasion.
Si les actions non-violentes ont ébranlé
le dispositif policier, elles ont aussi ébranlé certaines certitudes.
Jusqu’au dernier jour, quand les congressistes sont sortis du Palais
Beaumont, nous étions encore présents pour leur proposer de discuter
avec eux, ce que la plupart ont accepté. Ces échanges avec les
congressistes et les forces de l’ordre ont peu à peu permis de faire
évoluer les regards qu’ils portaient sur nous, nous faisant sentir que
notre message avait une certaine portée, et que nous faisions tomber des
barrières psychologiques, parfois de manière aussi spectaculaire que
quand nous renversions les barrières de sécurité. Convaincus que
c’est aussi dans les consciences qu’il faut faire bouger les lignes, il
y a eu de la part des militants une volonté impressionnante de
convaincre, et pas seulement de bloquer. L’un de nous s’est adressé à un policier avec une assurance déconcertante : « bientôt, vous viendrez avec nous, vous savez pourquoi ? Parce que c’est vos propres familles qui seront en face de vous »
L’attitude déterminée, dans
l’interposition comme dans le dialogue, traduit le caractère impérieux
de la cause climatique, et confère à l’action contre le changement
climatique une légitimité de plus en plus forte, tant vis-à-vis de la
presse que de la population. Cela s’est ressenti dans la presse mais
également dans la solidarité que la population a exprimé envers notre
mobilisation, en nous apportant de la nourriture, en nous fournissant
des hébergements et des moyens de transports, et en finançant la
campagne via l’opération de « crowdfunding ». Certaines personnes ont
également partagé avec nous des informations afin de nous aider à
poursuivre la lutte contre les compagnies climaticides, ce qui témoigne
là aussi d’une progression des prises de consciences.
Pendant la chaîne humaine, qui a rassemblé 600 personnes dans le parc du Palais Beaumont
Impact médiatique et politique
Il est à noter que Total – qui
accueillait l’événement MCEDD – est un acteur économique majeur et
respecté dans la région, revendiquant des milliers d’emplois et
subventionnant de nombreuses activités locales. Les différentes actions
menées en opposition au sommet ont pourtant provoqué un débat au niveau
de la région de Pau, notamment grâce à la presse locale, qui a couvert
la mobilisation de manière quotidienne et en relayant largement les
revendications des militants. Deux personnalités politiques locales se
sont affrontées, par tribunes interposées dans la presse : le député des
Pyrénées-Atlantiques David Habib et le maire de Billère Jean-Yves
Lalanne – tous deux membres du PS –, le premier qualifiant les
activistes d’ « extrémistes » et de « fous » (5), et le second réagissant en saluant « l’intelligence humaine, l’humour et la créativité » des organisateurs de ces actions « utiles et nécessaires » (6).
Article de La République des Pyrénées (6)
Dès le lendemain des actions menées
contre le MCEDD, vendredi 8 avril, la ministre de l’environnement
Ségolène Royal a annoncé à l’occasion de la deuxième conférence
nationale de l’océan un « moratoire immédiat sur la recherche d’hydrocarbures en Méditerranée » et déclaré qu’elle n’accorderait « plus aucun permis d’exploration, ni dans les eaux territoriales, ni sur le plateau continental ». Pour le quotidien Le Monde du dimanche 10 avril, cette annonce « sonne
comme une réponse aux préoccupations (…) des militants écologistes qui
ont tout mis en oeuvre pour perturber la rencontre des grandes
compagnies pétrolières et gazières à Pau, à l’occasion du sommet Marine,
Construction and Engineering sur le pétrole offshore et le forage en
eau profonde, du 5 au 7 avril ». (7)
Die-in rassemblant 600 personnes le dernier jour de la mobilisation
Un dispositif de relai médiatique particulièrement massif et diversifié
Plusieurs journalistes ont été embarqués,
leur permettant d’avoir des images depuis le cœur des actions, mais de
nombreux militants ont aussi participé aux opérations en tant que
média-activistes, nous permettant d’avoir nos propres images. Le nombre
de média-activistes a permis de couvrir la quasi-totalité des lieux des
actions en photos et en vidéo, certaines actions étant menées
simultanément à plusieurs endroits. Cela a aussi permis une grande
réactivité de la communication, et même un véritable direct, certains
militants ayant filmé les actions des heures durant en les diffusant
directement sur internet. C’est ainsi que certaines personnes ont pu
suivre des journées entières d’action depuis leurs ordinateurs ! Ces
vidéos en direct étaient complétées par des live-tweets qui permettaient
de diffuser à la fois des informations complémentaires, des photos et
de courtes vidéos.
La réactivité des photographes et des
vidéastes « classiques » était également de mise puisque des albums
photos ont été diffusés à la fin de chaque journée, tandis que les
vidéastes montaient toute la nuit pour pouvoir diffuser des vidéos
finalisées dès le lendemain de chaque action. Ce dispositif
permet de multiplier l’impact des mobilisations, en témoigne la vidéo de
la première journée d’action qui a totalisé 270 000 vues en seulement
24 heures ! (8) Pendant les opérations elles-mêmes,
un tel dispositif apporte également une protection supplémentaire pour
les activistes, les caméras, appareils photos et smartphones dissuadant
certains agents des forces de l’ordre d’utiliser une violence
disproportionnée contre les militants.
Blocage d’un des accès du Palais Beaumont, au troisième jour d’action.
Urgence climatique et stratégie de l’action non-violente
Ce mode d’action à la fois 100 %
non-violent et très déterminé tire sa spécificité de deux éléments :
d’une part une conscience de la nature précise du changement climatique,
et d’autre part une approche stratégique de l’action non-violente.
Notre détermination tient au fait que
nous avons compris qu’un réchauffement climatique de 4°C ou 5°C, que
nous sommes actuellement en train de provoquer, correspond à l’ordre de
grandeur d’un changement d’ère géologique, qui rendrait la planète
littéralement inhabitable pour l’homme et la plupart des espèces
vivantes. Avant même un tel réchauffement, le franchissement du seuil
d’impact majeur des 2°C aurait des conséquences catastrophiques non
seulement sur les générations futures, mais aussi pour les enfants qui
naissent aujourd’hui même. L’exploitation de toutes les énergies
fossiles disponibles sur la planète provoquerait quant à elle un
réchauffement de 9°C, selon Michael Greenstone, professeur à
l’Université de Chicago et ancien chef économiste de la Maison Blanche,
qui précise : « à + 9°C, nous sommes tous carbonisés ». (9) Cette
conscience que le changement climatique est un enjeu central pour
l’humanité nous fait alors envisager l’action de désobéissance civile et
l’action de confrontation non-violente sous un autre jour, et les rend à
nos yeux profondément nécessaires et parfaitement légitimes.
Banderole enflammée par les militants devant le Palais Beaumont, où se tenait le MCEDD, sous la protection permanente des forces de l’ordre.
Un défi que nous sommes en mesure de relever
Face à ce constat alarmant de la
situation climatique, nous échappons pourtant au défaitisme, au
désespoir ou au déni. Nous savons d’une part que les alternatives pour
des modes de vie qui émettent radicalement moins de gaz à effet de serre
existent bel et bien, qu’elles sont déjà à notre portée, et qu’elles
peuvent en plus contribuer à créer un monde plus juste et plus humain,
plus solidaire et plus équitable. Nous savons qu’elles ne suffisent pas
encore à régler le problème climatique que parce qu’elles ne sont pas
encore généralisées à une échelle de masse. D’autre part nous croyons en
la pertinence de la stratégie de l’action non-violente pour gagner le
soutien de l’opinion publique, et pour permettre à la diversité de la
population d’agir au sein d’un même mouvement citoyen grâce à la grande
diversité des formes d’actions non-violentes.
Nous prenons comme inspiration et comme
références des figures comme celles de Gandhi ou de Martin Luther King,
ou des mouvements citoyens comme celui des Indignés Espagnols du 15-M.
Nous pensons que la stratégie et la philosophie de l’action non-violente
peuvent impulser un mouvement citoyen large, à la fois radical et
populaire, capable de relever le défi climatique : un mouvement « à la
Martin Luther King pour le climat ».
Pendant l’occupation de l’esplanade du
Palais Beaumont, au premier jour de l’action, une militante a lu à
haute voix, au mégaphone, un extrait d’un livre de référence : « Stratégie de l’action non-violente », de Jean-Marie Muller (1972)
Une mobilisation non-violente de masse, appelée publiquement à l’avance
Le choix d’appeler à bloquer le sommet
publiquement, et à l’avance, a des avantages et des inconvénients. Cela a
permis de mettre la pression pendant les six dernières semaines sur les
organisateurs du sommet, et ainsi de créer à l’avance des conditions
d’anormalité. C’est également une manière d’annoncer le type d’action
qui sera mené : le fait d’appeler publiquement montre que l’action de
désobéissance civile est pleinement assumée, et c’est aussi une manière
d’annoncer dès le départ que les actions seront menées à visage
découvert et de manière non-violente. Cela montre aussi une
détermination certaine, car nous savons très bien qu’une telle annonce
entraîne inévitablement un renforcement de la sécurité autour du sommet,
et que cela nous prive de l’effet de surprise, avec lequel nous aurions
pu bloquer dès le petit matin tous les accès du sommet avec un groupe
beaucoup plus réduit de militants, en déjouant un service de sécurité
habituel plus réduit, et non pas un dispositif policier massif. L’effet
de surprise est d’autant plus réduit pour nous qu’il est très facile
pour les policiers de s’infiltrer dans le camp climat pour recueillir
les informations de tous les briefings généraux et des différents
groupes de travail, en s’inscrivant au camp climat et en se faisant
passer pour un volontaire.
Un groupe de plusieurs dizaines
d’activistes approchant du Palais Beaumont, au pas de course, en
scandant « état d’urgence climatique ! », au troisième jour d’action
Car c’est là la spécificité qu’implique
le choix d’une action de masse appelée publiquement à l’avance : tout le
monde peut s’inscrire, et il y a eu de nombreuses personnes inscrites
que nous n’avions jamais rencontrées auparavant. Cette situation ne
permet pas de partager toutes les informations sur les actions avec
l’ensemble des participants. Il faut trouver un équilibre entre la
confidentialité qui garantit la faisabilité d’une action, et le partage
d’informations pour instaurer la confiance avec les militants, et pour
qu’ils soient très clairement informés des risques physiques et
juridiques qu’ils encourent. On donne ainsi les informations générales
sur le type d’action qui sera menée, les risques encourus, les objectifs
politiques et la stratégie générale, et on ne révèle les objectifs
tactiques précis qu’au dernier moment. Cela nécessite une grande confiance des militants envers les coordinateurs des actions.
L’appel public à l’avance a des avantages
spécifiques. Le premier étant précisément le fait que cela permet
d’intégrer de nouvelles personnes, et de ne pas rester en cercle fermé
entre activistes qui sont déjà en lien, qui ont l’avantage de se
connaître, mais qui ont la limite d’être moins nombreux. Cela va dans le
sens d’un mouvement de masse. De nombreuses personnes qui sont venues
participer aux actions de blocage n’avaient jamais mené d’actions de
désobéissance civile ou d’actions non-violentes auparavant. Des
formations ont été animées pendant le camp climat, notamment sur
l’attitude non-violente, les techniques et la stratégie d’action, les
risques juridiques, le changement climatique.
Dimension collective de la préparation des actions et de la vie sur le camp climat
Un esprit collectif se crée, un groupe
solidaire se forme, la confiance s’établit entre les militants et les
coordinateurs des actions, et entre les militants entre eux. Informées
et conscientes du dispositif policier, des risques juridiques et des
risques physiques liés à la répression, de nombreuses personnes ont
franchi pour la première fois le pas de la désobéissance civile, avec
une grande détermination, qui n’a pas flanché après les coups de
matraque et les jets de gaz lacrymogènes. C’est ainsi qu’on a vu les
jours suivants des militants avec des béquilles ou un œil bandé revenir
franchir les barrières et les lignes des forces de l’ordre.
Au premier jour d’action, de nombreux
coups de matraque et de jets de gaz lacrymogènes ont été infligés aux
militants pour les repousser de l’esplanade du Palais Beaumont… en vain :
les militants se sont assis et sont restés en place toute la journée
jusqu’à la sortie des congressistes.
La grande diversité des militants présents sur le Camp
Se sont côtoyés sur le Camp Sirène des
militants de tous âges même si majoritairement jeunes, des femmes, des
hommes, des actifs, des étudiants, certains compagnons d’Emmaüs, des
personnes en somme issues de différentes classes sociales, toutes venues
avec l’objectif de bloquer coûte que coûte le sommet. La scène
surréaliste de Mathieu, en déambulateur, avançant de manière
complètement déterminée vers la ligne des forces de l’ordre, médusées, a
forcé l’admiration de toutes et tous et restera longtemps dans nos
mémoires. Cette diversité, cette représentativité, est une qualité
cruciale pour un processus comme ANV-COP21 qui vise à construire un
mouvement citoyen de masse, à la fois radical et populaire.
L’avantage tactique de l’action de masse
À moins nombreux, nous n’aurions pas pu
réussir à déborder le dispositif policier. Mais à plus nombreux, ce que
nous serons bientôt, nous aurions pu bloquer entièrement le sommet. Le
fait que nous soyons nombreux nous donne également davantage de
légitimité aux yeux de l’opinion publique, et c’est aussi ce qui permet
d’étendre encore la diversité des participants. Cela invite davantage de
monde à se reconnaître en nous, dévoilant une facette ouverte et
accessible de notre mouvement intégrant activistes spécialistes et
citoyens sensibles aux questions climatiques.
Mathieu, en déambulateur, s’est avancé
le premier face une ligne de forces de l’ordre se préparant à repousser
les activistes entrés à l’intérieur du périmètre du Palais Beaumont.
D’autant que pour des actions menées à
100 ou 200 activistes, comme celles qui ont été menées contre le MCEDD,
c’est toute une série d’autres équipes qui ont oeuvré en périphérie pour
en assurer le bon déroulement : équipes médicales installées à
proximité des sites de l’action, un groupe juridique et un groupe de
communication actifs en permanence, des équipes assurant la logistique
des actions comme le transport, et encore d’autres équipes assurant la
logistique du camp climat qui devait pouvoir accueillir les activistes à
leur retour. La grosse organisation que supposent les actions de masse
est également un avantage car elle permet à certains militants de ne pas
s’exposer aux risques physiques et juridiques, tout en jouant un rôle
indispensable à la réussite des actions.
L’émergence d’une nouvelle génération militante, au travers d’une méthode efficace
La campagne de mobilisation Stop-MCEDD
lancée par ANV-COP21 a rapidement rassemblé une dizaine d’autres
organisations présentant une convergence originale autour du thème du
climat et des océans : Alternatiba et les Amis de la Terre qui ont mené –
avec ANV-COP21 – l’essentiel du travail de mobilisation des forces
militantes, Bizi qui a servi de quartier général pendant tout le mois
qu’a duré la préparation de cette mobilisation, le Village Emmaüs
Lescar-Pau qui a apporté une précieuse aide logistique et accueilli sur
son site le camp climat pendant une semaine, Nation Océan qui a fourni
une expertise sur le fond de la campagne, 350.org qui a aidé à la
communication et lancé une pétition en ligne (10), les
Chrétiens Unis pour la Terre qui ont mené une action de jeûne pour le
climat devant le siège de Total à la Défense, Attac qui a participé aux
conférences et aux interventions publiques et qui a produit une vidéo
marquante d’appel à mobilisation (11), Surfrider Foundation
Europe au niveau du plaidoyer et de la préparation d’un happening
public, Nicolas Hulot réalisant une vidéo expliquant pourquoi refuser
les forages d’hydrocarbures offshore, Friends of the Earth International
et Greenpeace apportant également leur soutien de diverses manières.
La préparation de la mobilisation et des actions
Elle a été menée par un groupe de
coordination d’une vingtaine d’organisateurs, s’appuyant sur le réseau
des groupes locaux d’Alternatiba et d’ANV-COP21 (dans lesquels on
retrouve d’ailleurs des militants des diverses organisations
partenaires). Il est étonnant de constater que la plupart de ces
organisateurs se sont rencontrés il y a moins d’un an, et que presque
tous ont découvert l’action non-violente et la désobéissance civile il y
a quelques mois à peine au moment du lancement d’ANV-COP21 ou pendant
la COP21.
Pourtant, malgré leur courte expérience,
ces organisateurs sont parvenus en l’espace de 6 semaines à coordonner
une campagne de communication et de mobilisation, préparer un camp
climat, sa logistique et son programme de conférences et de formations,
trouver les hébergements et la nourriture nécessaires pour les 500
activistes inscrits sur les 7 jours, préparer et coordonner trois jours
de rassemblements publics et d’actions de désobéissance civile, mener
une campagne de financement participatif et diverses initiatives
permettant au projet de s’auto-financer. Diverses équipes ont été mises
en places : médicale, logistique, cuisine, communication, juridique… le
tout dans des conditions spartiates : les militants dormaient sous des
chapiteaux collectifs ou dans des tentes, sans chauffage, le rythme de
travail était très intense et les nuits particulièrement courtes.
Une des équipes médicales, installée
de l’autre côté des grilles du Palais Beaumont pendant l’action de
blocage de la troisième journée
Des méthodes de travail empruntées à Alternatiba et Bizi
Un tel résultat obtenu par une majorité
de coordinateurs « débutants » tient à une certaine méthode de travail,
issue d’Alternatiba et de Bizi. Les organisateurs se sont formés sur le
tas ces derniers mois en préparant un Village des alternatives, en
participant au Tour Alternatiba ou au Quartier Génial d’Alternatiba
pendant la COP21. L’organisation est rigoureuse, on observe de la
discipline, un respect de la ponctualité, on privilégie la pratique à la
théorie (la pratique créant la conscience), l’apprentissage se fait par
l’expérimentation (on apprend à marcher en marchant). Depuis
Alternatiba Bayonne en 2013, chaque temps de mobilisation a été
l’occasion d’augmenter le nombre de coordinateurs. On observe au travers
de cette méthode une formation et une responsabilisation très rapide
des militants. Mobilisation après mobilisation, les coordinateurs
confient chaque fois des responsabilités à d’autres militants, que l’on
retrouve en position de coordinateurs à la mobilisation suivante, et qui
confient à leur tour des responsabilités à de nouveaux venus, et ainsi
de suite.
Cette méthode rigoureuse permet une efficacité organisationnelle, mais on observe également une ambiance conviviale,
des repas organisés sur des grandes tablées, des chants et des slogans
rythmant les journées, et des rapports bienveillants entre les gens.
Plus les jours passent et plus les émotions sont fortes, l’expérience
des actions menées collectivement soudent les gens, forgent un sentiment
de fraternité et de solidarité. Un de nos vidéastes a pris la parole le
soir du troisième jour d’action pour nous confier qu’en nous voyant à
travers l’objectif pleurer et souffrir des brûlures des gaz
lacrymogènes, et tenir bon malgré tout, lui-même a été ému aux larmes
face à tant de détermination. Chacun trouve du courage et puise dans la
force collective des ressources pour résister. Cette force collective donne un immense espoir, et renforce le sens de l’action.
La détermination des militants était encore plus forte au troisième et dernier jour d’action !
Ça ne fait que commencer !
Vendredi 8 avril, au lendemain de la
dernière journée d’action, le débriefing général a rassemblé 150
personnes. Les mains s’agitaient en signe d’approbation au fur et à
mesure que les prises de parole se succédaient et que les militants
formulaient ce qu’ils retenaient de cette semaine : l’organisation, la
méthode, la non-violence, l’urgence climatique, la détermination, les
alternatives et la résistance, l’apprentissage, la transmission, le
partage, la solidarité, la confiance, l’esprit collectif…
Les participants venus de tous horizons
semblent désormais partager une vision, mais aussi une pratique. On sent
qu’un type d’action non-violente est en train de se mettre en place, et
qu’un état d’esprit collectif est en train de naître. On sent un désir
de rapporter quelque chose de ce qui s’est passé à Pau pour le partager
de retour chez soi, pour continuer à faire boule de neige. On ressent
une inspiration, une énergie, une volonté, un élan, un espoir, et on
devine un moment fondateur comme celui qu’on a ressenti à Bayonne le
jour du premier Village Alternatiba, organisé le 6 octobre 2013, qui
avait été le point de départ de toute une dynamique de re-mobilisation
citoyenne pour le climat. Certains parlent d’ailleurs de créer un groupe
ANV-COP21 à leur retour chez eux.
Débriefing général au lendemain de la troisième journée d’action, alimenté par le vélo-sono d’Alternatiba
Autant d’indicateurs positifs qui
laissent penser que nous avons peut-être réussi, lors des deux années de
mobilisation dans la perspective de la COP21, à construire une
dynamique effectivement capable de perdurer au-delà du Sommet de Paris,
et de continuer à se renforcer.
Plusieurs rendez-vous donnent d’ailleurs l’occasion de renforcer encore le mouvement dans les mois qui viennent : le sommet international du pétrole le 21 avril à Paris, la semaine Breakfree du 4 au 15 mai (12), Ende Gelände du 13 au 16 mai en Allemagne (13), ou encore la mobilisation antinucléaire d’octobre.
Avant de repartir, les militants ont fait
une haie d’honneur pour les compagnons d’Emmaüs Lescar-Pau qui les ont
accueillis pendant une semaine dans leur village, puis ont entonné à
nouveau ce chant emprunté à HK dès la fin du rassemblement au
Champ-de-Mars le 12 décembre, à la fin de la COP21 : « c’est pas fini, pas fini, ça ne fait que commencer ! ».
Par Jon Palais, militant Bizi, ANV-COP21, Alternatiba 11 avril 2016
Voir aussi :
- L’article et la vidéo sur la première journée d’action, 300 militants climat perturbent gravement le sommet des pétroliers à Pau, 5 avril 2016 : http://anv-cop21.org/300-militants-climat-perturbent-gravement-sommet-petroliers-a-pau/
- L’article sur la seconde vague d’action, Nouvelle série d’actions dans la nuit et au petit matin, 6 avril 2016 : http://anv-cop21.org/jour-2/
- L’article et la vidéo sur la deuxième journée d’action, Concert désobéissant et chaîne humaine, la mobilisation contre le MCEDD monte d’un cran : http://anv-cop21.org/1607-2/
- L’article et la vidéo sur la troisème journée d’action, Pari tenu : Blocage du sommet de Pau par les militants climat, 7 avril 2016 : http://anv-cop21.org/pari-reussi-blocage-sommet-de-pau-militants-climat/
- Le récit de Nicolas Haeringer, Pau, un moment fondateur, 8 avril 2016 : http://350.org/fr/pau-moment-fondateur/
(1) Le « Marine, Construction and
Engineering Deepwater Development », un sommet de professionnels de la
prospection pétrolière et gazière en eaux profondes :
http://mcedd.com/
(2) L’appel « Debout et déterminés pour
le climat », signé par des milliers de citoyens, lance le mouvement
ANV-COP21 en juin 2015 :
http://anv-cop21.org/appel
(4) Technique de franchissement inspirée
des techniques de rugby et de mouvements militants comme les Tutti
Bianchi ou l’action d’Ende Gelände qui a eu lieu quelques mois
auparavant en Allemagne, en août 2015 :
http://350.org/fr/ende-gelande-wrap-up/