Laminé par le Sénat, le projet de loi
sur la transition énergétique renvoie la réduction du nucléaire aux
calendes grecques et annule la fermeture du réacteur de Fessenheim. Le
texte est « inacceptable » selon le président (PS)
de la commission du Développement durable à l’Assemblée nationale,
Jean-Paul Chanteguet. Il ne votera pas le texte en l’état, précise-t-il
sur Reporterre.
Cela devait être l’un des grands
textes écolos du quinquennat de François Hollande. Mais malgré plus de
deux ans de débat, le texte a été laminé durant
son passage au Sénat. Le projet de loi en ressort tellement affaibli qu’il devient
« inacceptable » dénonce le député
PS
Jean-Paul Chanteguet. Si le gouvernement présente le texte en l’état
devant l’Assemblée Nationale, le socialiste affirme qu’il ne le votera
pas.
Reporterre - Vous avez déclaré que le texte sorti de la commission des affaires économiques du Sénat est « inacceptable ». Pourquoi ?
Jean-Paul Chanteguet - Le texte voté par la
commission du Sénat est inacceptable parce qu’il ne reprend pas les
engagements forts du Président de la République. Par exemple celui de
réduction de la part du nucléaire dans la production d’électricité de 75
% aujourd’hui à 50
%
d’ici 2025. Dans le texte du Sénat, il n’est plus question d’atteindre
cet objectif. A la place de la date de 2025, il est précisé
« à terme » : cela signifie que l’objectif pourrait être atteint un jour, mais à un horizon incertain.
Toujours sur le nucléaire, les amendements votés par la commission
des affaires économiques du Sénat relèvent le plafond de la capacité
totale d’électricité nucléaire de 63,2 Gigawatts dans le texte initial à
64,85 Gigawatts dans celui du Sénat. Ce plafond est augmenté
précisément de la puissance de l’
EPR de Flamanville. Si bien que quand il sera ouvert, il ne sera pas nécessaire de fermer deux autres réacteurs nucléaires.
Cela, ce sont des engagements du Président de la République. Mais le
Sénat a aussi modifié les conditions de création des parcs éoliens
terrestres. Il rétablit la nécessité d’avoir au minimum cinq mâts
éoliens minimum par parc et l’obligation de créer des zones de
développement de l’éolien. C’est un retour en arrière, car ces mesures
avaient été supprimées par la loi Brottes, qui avait permis de relancer
le développement de l’éolien terrestre.
Pourquoi vous référez-vous aux engagements du Président de la République ?
Parce que dans ce domaine là, ce sont les engagements les plus
ambitieux de l’exécutif. Je ne peux pas me référer à d’autres
engagements, il n’en existe pas d’autres. Personne d’autre au
gouvernement n’a dit qu’il souhaitait se désengager du nucléaire dans
les 30, 40 ans qui viennent.
Ce qui sauvait la loi à vos yeux et à celle de nombreux
acteurs du monde de l’écologie, c’était ces grands objectifs que
consacrait la loi : réduction de la place du nucléaire dans le mix
énergétique, mais aussi diminution de la consommation d’énergie de 50 % d’ici 2050 et réduction de 40 % des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030. Que reste-t-il de ces deux derniers objectifs ?
Il ne reste que l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet
de serre. Il devient l’objectif principal et on perd de vue celui de
réduction de la consommation d’énergie finale. Dans le texte de
l’Assemblée nationale, cet objectif prenait la forme d’un engagement,
alors que le texte du Sénat se contente de dire que l’on
« poursuit »
cet objectif. C’est beaucoup moins contraignant, cela change
considérablement le sens, sinon d’ailleurs le Sénat n’aurait pas modifié
cet article.
Donc en fait, le texte tel que modifié par le Sénat consacre le fait qu’il n’y aura pas de transition énergétique ?
Oui, on maintient le modèle énergétique actuel et on va même jusqu’à
le renforcer : on donne encore plus de place au nucléaire. Ce projet de
loi reste organisé autour du modèle centralisé de production et de
distribution d’électricité. [
Alors que les acteurs qui souhaitent une
transition énergétique prônent un modèle décentralisé, adapté aux
énergies renouvelables. Le modèle centralisé est lui adapté au
nucléaire. - NDLR]
D’ailleurs la ministre de l’Ecologie, quand elle a présenté son texte, a bien dit qu’elle présentait un nouveau
’modèle’ énergétique, pas une
’transition’ énergétique. Le Conseil National de la Transition écologique le lui a fait remarquer. On a alors changé le titre du texte en
« projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte », sans modifier le contenu du texte.
Quelle différence entre ’modèle’ énergétique et ’transition’ énergétique ?
La transition énergétique va bien au-delà du modèle énergétique. La
transition englobe la dimension du logement, du transport, de l’économie
circulaire, alors que lorsque l’on parle de nouveau modèle énergétique
on se situe uniquement sous l’angle de la production énergétique, en
occultant la question de la consommation. On agit uniquement sur l’offre
et pas sur la demande.
Le gouvernement peut-il laisser passer le texte en l’état, sans les engagements du Président de la République ?
Je ne sais pas s’il peut laisser passer cela, mais je lui conseille
de ne pas le faire. Je fais partie de ceux qui considèrent que ce texte
est déjà très en retrait, et que si les engagements du Président de la
République n’étaient pas respectés, ce texte ne devrait pas être adopté.
Si le texte revient devant l’Assemblée Nationale en l’état, je ne
pourrai que voter contre.
Justement, quelles sont les étapes suivantes pour le texte,
a-t-il une chance d’être à nouveau modifié dans le sens que vous
souhaitez ?
Le Sénat ne modifiera qu’à la marge le texte voté par la Commission
des affaires économiques. Il ne reviendra pas sur la modification des
objectifs en terme de nucléaire. Le projet de loi va ensuite aller en
commission mixte paritaire, composée de députés et sénateurs. Là, on
peut envisager deux hypothèses. Première solution, les parlementaires se
mettent d’accord : le texte revient à l’Assemblée nationale et au
Sénat, il est voté et adopté définitivement. Dans ce cas, on peut
craindre que les engagements du Président de la République ne soient pas
repris.
Deuxième hypothèse, députés et sénateurs ne tombent pas d’accord : dans ce cas le texte revient à l’Assemblée nationale en 2
e lecture, puis en 2
e lecture Sénat, puis en 3
e et dernière lecture à l’Assemblée nationale qui aura le dernier mot.
Quelle est la plus forte probabilité selon vous ?
J’ai cru comprendre que certains, au niveau du gouvernement, souhaitent qu’il y ait un accord en commission mixte paritaire.
Parce qu’ils veulent que le texte soit voté rapidement…
C’est cela. Mais moi aussi je souhaite qu’il soit voté rapidement
! Seulement pas dans n’importe quelles conditions…
Propos recueillis par Marie Astier