Coronavirus : Et si cesser de nuire
était la solution…
Nous sommes actuellement en plein
milieu de ce qui pourrait être une des plus grandes crises
sanitaires de ce début du XXIème siècle. De jour en jour, le
nombre de personnes infectées par le virus Covid-19 ne cesse
d’augmenter. La pandémie se répand dans le monde entier à une
vitesse vertigineuse et chaque État utilise son propre protocole,
son propre timing pour tenter d’endiguer le coronavirus.

Les politiques
néo-libérales ont démantelé ou sérieusement affaibli les
systèmes de santé occidentaux. Certains pays, comme la Corée du
Sud et Taiwan ont misé depuis longtemps sur l’organisation de la
prévention : dépistage systématique et mise en quarantaine
ciblée, sensibilisation au port du masque et stocks nécessaires en
cas de crise. Elles ont enrayé le mal sans aucun confinement
collectif. Pourtant avertis de longue date par les crises sanitaires
précédentes et par l’OMS, nos États européens et nord américains
ont été incapables d’en faire de même. L’industrie médicale et
pharmaceutique, la main invisible du marché, la religion de la
croissance n’ont que faire des politiques de prévention : cela ne
génère aucun profit. Résultat : la situation nous a échappé des
mains et risque de saturer complètement nos systèmes de santé aux
capacités réduites par tant d’années de destruction du service
public. Faute d’avoir fait le nécessaire à temps (prévention,
distribution massive de masques et de gel, dépistages massifs et
mises en quarantaine ciblées), nos gouvernements nous ont conduit à
une situation où seul le confinement généralisé peut aujourd’hui
nous éviter le pire.
L’exécutif français opte pour “réduire nos déplacements et nos
contacts au strict nécessaire” tout en déclarant que “nous sommes en
guerre”. Pourtant, alors que le conseil scientifique prône désormais le
confinement général comme mesure la plus à même de “vaincre” l’épidémie,
le gouvernement, lui, incite les entreprises non indispensables à
continuer leurs activités. Quelle est la priorité de nos dirigeant·e·s :
maintenir la production coûte que coûte, même si cela ne concerne pas
les besoins indispensables, ou protéger la population ? Lorsque les
activités productives sont réduites, comme c’est le cas avec le
confinement, les émissions de gaz à effet de serre diminuent
drastiquement. Mais pourquoi attendre un contexte aussi brutal qu’une
crise sanitaire aux conséquences humaines et sociales dramatiques ?
Pourquoi ne pas s’attaquer plutôt à la racine du mal ? Le système
capitaliste, productiviste, financier et mondialisé dans lequel nous
vivons n’est-il pas le vrai “ennemi” ?
Une crise du
système avant d’être une crise sanitaire
Englué·e·s
dans notre modèle de développement voué à la croissance avant
tout, nous ne cessons de puiser dans les ressources naturelles de la
Terre et de nuire à notre environnement. Ce modèle de société que
nous connaissons, celui du toujours plus, détruit les
différents éco-systèmes et provoque une extinction massive des
autres êtres vivants. L’ampleur
de la pandémie actuelle et de ses dégâts a tout à voir avec les
dérèglements environnementaux, le démantèlement des politiques de
santé publique et la mondialisation néo-libérale engendrés par le
système capitaliste.
Selon
de nombreux·ses épidémiologistes, il semblerait que le point de
départ de la crise sanitaire du Covid-19 soit la transmission d’un
virus d’un pangolin ou d’une chauve souris à un humain. Depuis
la seconde moitié du XXème siècle, des virus pathogènes sont
apparus dans des zones où ils n’avaient pas été observés. La
majorité d’entre eux sont d’origine animale dont plus des deux tiers
véhiculés par des animaux sauvages. Loin
s’en faut de leur rejeter la faute, le véritable responsable,
c’est le système dans lequel nous vivons.
A force de déforestation, d’urbanisation, d’industrialisations
effrénées, etc. mais également via le commerce illégal d’animaux
sauvages, nous avons détruit leurs habitats et ainsi provoqué le
déplacement de nombreuses espèces sur nos lieux de vie. Du fait de
leur proximité, les animaux porteurs du virus, bénin pour eux, le
transmettent bien plus facilement aux humains, pour qui il est
pathogène. C’est
pourquoi, il est certain que si le système capitaliste
productiviste, extractiviste et mondialisé n’est pas
fondamentalement remis en cause, nous risquons de vivre dans les
décennies à venir de plus en plus d’épidémies de la sorte.
Le système
capitaliste à l’origine de l’aggravation de l’épidémie,
déstabilisé par le coronavirus
Le modèle de société que nous avons
évoqué précédemment est remis en cause par cette crise sanitaire.
Les logiques qu’il engendre : course à la croissance,
productivisme, extractivisme, mondialisation, marchés financiers
dérégulés, etc., le rendent lui-même fragile et mettent en péril
la vie sur Terre. Notre mode de vie a créé cette épidémie et
facilite son développement autour du globe.
La
pandémie du Covid-19 s’inscrit dans une continuité de crises
sanitaires que nous avons déjà connues dans notre histoire
contemporaine. Des virus grippaux, comme entre autres le H5N1 dû à
l’élevage aviaire intensif (1997) ou le H1N1 d’origine porcine
(2009), ont déjà dépassé la « barrière des espèces » et les
frontières. Ces crises ont toujours été résolues sous un angle
essentiellement humanitaire, par le biais de solutions techniques et
biomédicales d’urgence, sans jamais remettre en question les
politiques néo-libérales mondiales qui en sont fondamentalement la
cause. La défiscalisation du kérosène en faveur du transport
aérien, la Politique Agricole Commune qui intensifie l’agriculture,
la non-régulation de la spéculation foncière favorisant
l’artificialisation effrénée des sols, la délocalisation des
chaînes de production et les traités de libre-échanges impliquant
le transport excessif de marchandises… Autant de politiques
écocides menées par nos gouvernements.
Le
Covid-19 est en train de considérablement ralentir l’activité
économique mondiale. La panique engendrée par la pandémie entraîne
l’effondrement des marchés financier et du cours du pétrole, qui
se trouvaient déjà dans une situation particulièrement instable.
En France, cette crise met en évidence les effets ravageurs des
politiques de réduction de moyens attribués à la recherche, aux
hôpitaux et au système de santé en général. À
titre d’exemple, la gestion calamiteuse des stocks de masques et de
gels hydro-alcooliques, essentiels pour freiner la propagation du
virus, met aujourd’hui la population gravement en danger. Faute d’une
vraie politique de santé publique, nous nous retrouvons dans un
traitement moyenâgeux de l’épidémie avec un confinement
généralisé de la population,
preuve
flagrante du manque total d’anticipation de la part de nos
dirigeant·e·s, pourtant déjà alerté·e·s depuis 3 mois par la
situation en Chine.
Les
hôpitaux sont eux aussi victimes d’une politique délibérée
d’assèchement
de leurs moyens et de leurs capacités,
et se retrouvent aujourd’hui en manque de moyens humains, de lits
en soins intensifs, d’appareils respiratoires. Avec le pic de
contamination, ils risquent de vivre la même situation
catastrophique qu’en Italie alors que l’on aurait pu fortement
limiter l’ampleur de cette crise par un dépistage massif effectué
suffisamment tôt.
Face
à cette crise sanitaire mondiale, le gouvernement Philippe a pris
des mesures contradictoires : fermeture des établissements
scolaires, des universités, des bars, des restaurants, des musées,
de tout ce qui n’est pas “essentiel à la vie de la Nation”
alors que les entreprises sont, elles, incitées à rester ouvertes.
Que
penser du maintien du premier tour des élections municipales en
pleine crise sanitaire ? Que penser d’un Amazon qui continue à
livrer alors que les commerces
de proximité aux activités non essentielles ont été obligés de
fermer ? Que penser de l’appel à la reprise d’activité
économique du BTP sans aucune garantie des conditions minimales de
sécurité ? Avec
ce confinement partiel, les cadres s’offrent le luxe du télétravail
alors que les salarié·e·s les plus précaires continuent de
s’exposer quotidiennement au danger, ne pouvant exercer leur métier
à distance. Caissières de supermarché, infirmières, femmes de
ménage, etc. les personnes les plus exposées sont en grande
majorité des femmes. Une fois de plus, les décisions du
gouvernement sont socialement injustes et font d’elles les grandes
perdantes.
Emmanuel
Macron continue avec son double discours qu’il maîtrise à la
perfection. D’apparence solidaire et compatissant avec le personnel
hospitalier, pourtant en grève depuis plus d’un an contre sa
politique d’austérité, il ne leur donne cependant pas les moyens
de faire face à cette crise sanitaire. Le
gouvernement français profite de cette crise sanitaire pour
continuer d’attaquer nos acquis sociaux s’enfonçant toujours
dans la même logique néolibérale : possibilité pour l’entreprise
d’obliger ses salarié·e·s à prendre des RTT voire une semaine
de congés payés (si accord d’entreprise négocié), augmentation
de la durée du travail jusqu’à 60h par semaine dans certains
secteurs.
Plutôt que de venir directement en aide aux petites entreprises et
commerçant·e·s qui subissent d’immenses pertes dans cette
période de confinement, l’Etat français et la Banque Centrale
Européenne renflouent les banques et assurent la stabilité des
marchés financiers à coup de centaines de milliards d’euros. Or,
nous avons déjà vu les résultats d’une telle politique lors de
la crise de 2008 : à coups de plans d’austérité, c’est encore
une fois les plus vulnérables, les plus pauvres qui en subiront les
conséquences.
Or cette crise doit être l’occasion,
non pas d’approfondir les inégalités et la destruction des
écosystèmes, mais d’une véritable métamorphose écologique et
sociale. Elle est la preuve que des changements majeurs et rapides
sont possibles à l’échelle hexagonale si la volonté politique
dépasse les discours et passe à l’action. Comment se fait-il que
nous soyons capables de prendre de telles mesures radicales face à
un virus alors que cela fait des décennies que nous sommes
inactif·ve·s face à la plus grande menace qu’ait connu le vivant
: le dérèglement climatique ? Ne l’oublions pas quand, à l’issue
de la pandémie, il nous faudra tirer les leçons de cette épreuve.
Pour l’heure, nous pouvons déjà agir maintenant, à l’échelle de
notre territoire.
Reprendre possession de nos vies et
cesser de nuire
La dégradation de la biodiversité,
le changement climatique et la crise sanitaire du coronavirus nous
imposent plus que jamais d’agir concrètement sur nos territoires.
C’est un changement global et systémique que nous devons mettre en
place. Repenser le commun et reprendre possession de nos vies.
Réguler voire s’affranchir des marchés financiers, mettre en
place des services publics forts, instaurer une économie qui
respecte les limites de la biosphère et qui réduit les inégalités
sociales. Cesser de nuire aux autres êtres vivants, à la Terre et à
nous-mêmes. Aller à l’encontre de nos modes de vie actuels et
nous diriger vers une société sobre.
Depuis
deux ans, Bizi travaille à l’élaboration d’un projet de
territoire souverain, soutenable et solidaire*. Si certaines
décisions, comme l’arrêt de l’extraction de l’énergie
fossile, l’interdiction de subventions aux activités climaticides,
le financement d’un fond d’aide à l’adaptation et atténuation
dans les pays les moins riches, doivent être prises de façon
concertée au niveau mondial, 50% à 70% des solutions pour le
climat se trouvent à l’échelle locale, où le principe de
subsidiarité n’est que trop rarement appliqué. Nous sommes en
très grande partie tributaires de décisions prises loin de nous,
souvent inadaptées à nos besoins. La souveraineté du peuple doit
être remise au centre du processus démocratique.L’échelle
territoriale est celle qui s’impose pour une réelle
transformation sociale, car c’est là où peut réellement
s’exercer la démocratie et où se perçoivent de la façon la
plus immédiate les enjeux de notre territoire.
Afin
de redevenir acteurs et actrices de notre propre développement,
nous devons nous émanciper du mode de production capitaliste, et
relocaliser l’activité économique. Les lois du marché,
aujourd’hui, ne favorisant pas la transition écologique et
l’inclusion sociale, nous devons commencer par nous réapproprier
l’instrument des échanges. Ainsi, l’Eusko, la monnaie locale du
Pays Basque nord, est l’instrument idéal pour cette reconquête.
C’est une monnaie sur laquelle nous avons prise et que nous pouvons
mettre au service de nos valeurs. Tous les eusko en circulation sont
autant d’argent retiré du système spéculatif et mis au
service de l’économie réelle et locale. C’est un outil majeur
de la relocalisation en Iparralde (Pays Basque Nord).
De
même, dans un objectif de souveraineté alimentaire, nous devons
relocaliser notre alimentation, en produisant et en consommant local
au maximum. La
chambre d’agriculture du Pays Basque travaille depuis 15 ans avec
l’ambition de produire une alimentation locale, saine, de qualité,
dans des exploitations réparties sur tout le territoire. Cela permet
à de nombreux·ses
paysans et paysannes de vivre décemment de leur métier et de
préserver les ressources naturelles de demain.
Enfin,
nous
devons conquérir notre souveraineté énergétique et construire
des institutions participatives qui en assureront un contrôle
démocratique. L’énergie de demain doit être une énergie
citoyenne, à l’image des solutions proposées par I-ENER et
Enargia en Iparralde, des acteurs qui nous permettront d’aller vers
la sobriété énergétique.
Le processus de relocalisation et
celui de souveraineté démocratique territoriale interagissent
mutuellement. Pour prendre le cas d’Iparralde, la Communauté
d’Agglomération Pays Basque (CAPB) qui est à ce jour la seule
instance territoriale, pourra d’autant plus facilement mener une
politique environnementale et sociale ambitieuse que son économie
sera relocalisée et donc moins vulnérable à la concurrence
internationale. Et inversement, il est indispensable qu’elle
dispose des compétences nécessaires à la mise en pratique du
principe de subsidiarité, afin qu’elle puisse impulser une
politique adaptée au territoire.
Cette crise sanitaire qui succède à
la crise financière de 2008 et qui en précède bien d’autres,
vient démontrer l’impérieuse nécessité de travailler au
renforcement des solidarités, des réseaux d’entraide, de
l’organisation collective. C’est en faisant ce travail en
profondeur qu’on permettra aux populations d’être plus
résilientes face aux conséquences et dégâts engendrés par les
futures crises climatiques, écologiques, économiques, sociales et
sanitaires.
L’épreuve que nous traversons collectivement aujourd’hui
doit nous faire prendre conscience que nous avons toutes les clés en
main pour construire une société résiliente, capable
d’encaisser les chocs qui seront de plus en plus réguliers et puissants
du fait de l’actuel dérèglement climatique et de la fragilisation de
notre environnement écologique et social. Une société relocalisée et
plus autonome qui nous permettra de répondre à nos besoins localement.
Une société soutenable et solidaire où chaque être humain trouvera sa
juste place tout en prenant soin de la nature, afin qu’elle continue à
nous nourrir, nous émerveiller et nous protéger.